Promenades sous la peau. A la recherche de nos architectures d’intérieur. Par le Dr J.C.GUIMBERTEAU

“Qui bene diagnoscit bene curat “
La Feuille du Medge : de chacun à tous. À partir d’hier aujourd’hui fera demain.

16/10/2021

Dr J.C.GUIMBERTEAU chirurgien plasticien

Les travaux d’observation réalisés sur le vivant avec un endoscope intratissulaire permettent maintenant d’ appréhender le vivant sous un autre angle et de trouver des explications à des comportements de souplesse et élasticité mal expliqués jusqu’à maintenant.

En effet, le simple geste de pouvoir soulever la peau, l’observer se redraper, reprendre sa forme et sa texture initiale en quelques secondes est certes très banal mais pose beaucoup de questions quand on pense à tous les éléments rentrant en jeu. Le constat est le même lorsque l’on ferme les doigts et que l’on pense à la progression du tendon fléchisseur tout au long de la paume sans traduction externe cutanée.

Pendant des décennies , les explications scientifiques se sont bornées à la notion du concept d’élasticité ou de l’existence de tissu conjonctif  lâche, lamellisé, stratifié, hiérarchisé en couches, plans, avec plus ou moins un espace virtuel,  toutes explications dont la biomécanique est très floue.

Le tissu conjonctif délaissé.

Ayant classé ces concepts pourtant dans les vérités acquises, depuis plus de 50 ans, la recherche scientifique est passée au niveau microscopique et a abandonné l’anatomie  globale à un niveau mésoscopique.

« Le tissu conjonctif reste conjonctif , fait le lien entre les organes nobles , et comme il semble lâche , il assure la mobilité. »   Voilà la doctrine classique.

Par ailleurs , ce tissu conjonctif n’est pas considéré comme noble , il est négligé par le chirurgiens et anatomistes car peu consistant. La dissection chirurgicale  utilise ces zones de conjonction car leur décollement ou leur traversée sont plus faciles. Souvent avec l’index, le chirurgien dont moi en particulier, effondre sans égard ces structures  permettant ainsi  l’accès aux structures osseuses par exemple. Ce que nous appelons les plans de décollement sont ces zones de passage frayées par les ciseaux du chirurgien mais qui physiquement n’existent pas.


Un système élaboré et complexe.

En effet, une observation attentive permet de constater que les connexions tissulaires conjonctives sont une véritable continuité histologique sans séparations nettes que ce soit entre la peau et l’hypoderme, les vaisseaux,  puis l’aponévrose et le muscle.

A l’occasion de mes travaux avec un endoscope de contact prenant des séquences en Haute Définition lors d’interventions chirurgicales sur le tissu conjonctif et  sur  les  systèmes de glissement, je me suis rendu compte que le tissu conjonctif, si négligé, est essentiel voire structurel et n’est pas un tissu annexe, de remplissage entre organes, sans rôle fondamental.

J’ai étudié de près cette organisation tissulaire pendant 15 ans .

J’ ai constaté un type de structures, constituées de filins, haubans, câbles, voilages, que j’ai appelé le Système Collagénique Multimicrovacuolaire d’Absorption Dynamique car il permet le glissement en diffusant  la force sans rupture.

Ce système est d’organisation irrégulière, pseudo chaotique et de fonctionnement très éloigné des analyses mécaniques traditionnelles.

Grâce à la technologie endoscopique intratissulaire, on peut s’apercevoir que le monde sous la peau n’est pas dans un ordre régulier tel que l’homme aime à le concevoir. Il est tramé par une architecture interne faite de myriades de fibrilles de collagène, tissée de façon irrégulière et fractale s’entrecroisant dans les 3 dimensions de l’espace.

Sur le plan biomécanique, ce réseau a des interconnexions dont le comportement est non linéaire et permet une adaptabilité optimale à la contrainte.

Entre chaque croisement des fibrilles de ce système, se dégage  entre ses mailles, un volume plus ou moins grand, l’unité fonctionnelle, la microvacuole , de forme polyédrique irrégulière et fractale.

Ces microvacuoles constituées de glycoaminoglicanes servant en plus de système d’amortissage à pression variable mais à volume stable, se retrouvent partout dans le corps humain. Ce système a une dynamique propre. Il fait appel à des mouvements entre les fibrilles très spécifiques, d’étirement, division , glissement, réalisant ainsi  une architecture conjonctive mobile, rétractable et extensible dans les 3 dimensions de l’ espace.

La dynamique du système multimicrovacuolaire grâce aux différentes qualités de précontrainte et de fusion-scission-dilacération moléculaire permet de réaliser toutes les subtilités du mouvement à l’ intérieur du corps, associant mobilité, rapidité, interdépendance et adaptabilité plastique.

Le corps, puisque cette organisation fibrillaire est retrouvée partout, apparaît alors comme un entrelac idéal, fait de fibres, fibrilles et micro fibrilles, de micro espaces vacuolaires plus ou moins cellularisés, de la mésosphère à la microsphère donnent à la notion de forme vivante un rationalisme structurant.

Ce système de glissement semble être la trame tissulaire organisatrice globalisante.  Le tissu conjonctif  n’est  donc pas que conjonctif, il est aussi le tissu constitutif . Il impose  une vision plus holistique .

Une unité structurante

Ainsi, une véritable nouvelle ontologie structurante peut être élaborée au travers de cette  unité fonctionnelle basique qui est la microvacuole, microvolume intrafibrillaire responsable de la forme et de la dynamique . Mais cette unité structurante n’est pas une entité fixe, elle a une existence non pas virtuelle mais transitoire et peut changer , disparaître , se reconstituer en fonction des jeux fibrillaire  et dans un tout non linéaire mais cohérent .

Le continuum fibrillaire allant de la surface de la peau au sein de la cellule au gré des densifications fonctionnelles pourrait alors être défini comme le fascia  corporel , réseau complexe reliant le sommet du crâne au bout des orteils, de la superficie à la profondeur.

Comme on le retrouve dans toutes les structures vivantes et à de nombreux échelons,  la question qui se pose dès lors est : est il la forme architecturale structurante de la Vie ?

C’est  la notion de continuité tissulaire intracorporelle et non pas un assemblage en pièces détachées accolées les unes aux autres qui s’impose  .

Cette notion de microvacuole est aussi fascinante car elle permet de mieux  expliquer la capacité à remplir l’espace intracorporel. En effet, comment expliquer un volume de matière vivante ? Comment se crée ce volume ? Comment l’ eau existe t’elle au sein de la matière ? Par ailleurs, comment faire apprécier les tensions intracorporelles résistant à la gravité ?

Le volume de matière est constitué de fibres et fibrilles mais aussi des micro espaces résultant de l’entrecroisement plus ou moins fonctionnalisés et cellularisé. Bien sûr, l’eau ou plutôt les liquides biologiques trouvent dans la structure polyédrique de la microvacuole, la possibilité de se répartir. Mais ces éléments même si la répartition semble chaotique ne se disposent pas en vrac. Ils occupent l’espace de façon optimale dans une forme déterminée. La forme polyédrique et irrégulière des microvacuoles et des cellules facilite cet arrangement spatial et les lois physiques élémentaires en sont les donneurs d’ordre .

Mais à nouveau le chaos déterministe resurgit.

En effet l’ organisation de cet échafaudage fibrillaire est irrégulière et fractale,  dotée d’une mobilité imprévisible mais dans une dynamique qui n’est pas dénuée de sens.

Cette introduction de l’irrégulier, du chaotique est presque une violence intellectuelle  quand on sait qu’il conditionne  le vivant, la souplesse, l’efficacité pour la vie. Comment aborder le chaotique, le fractal de la matière ? Comment donner un sens à ces architectures irrégulières, existant dans tout le corps , à tous les niveaux.

L’ acceptation du concept microvacuolaire permet aussi de mieux définir des états de la matière au décours d’une vie comme l’œdème, l’inflammation, l’obésité , la croissance et le vieillissement.

Elle permet aussi de comprendre la réponse cicatricielle et ouvre des pistes pour améliorer nos pratiques en termes d’optimisation de la souplesse tissulaire et limitation des adhérences cicatricielles.

Toutes ces raisons incitent à une vision globale du corps, d’interpénétration, de lien entre les structures et d’élaboration  d’un concept d’une même architecture , d’un même tramage fibrillaire de la cellule à la surface de la peau .

Une remise en question

Cette approche nouvelle totalement scientifique car parfaitement reproductible, oblige à discuter des représentations actuelles du savoir .

Tout d’abord accepter que l’ordre n’est pas le seul à être efficace est dérangeant. La dynamique pseudo chaotique,  que l’on pourrait définir en physique  comme  un comportement imprévisible non linéaire mais non hasardeux se retrouve partout dans l’organisme avec des différences selon le rôle fonctionnel.

Ce concept d’architecture fibrillaire fractalisée sous tension introduit  assurément à un nouveau modèle constitutif de l’être humain.

Ensuite, ces explorations endoscopiques sans minimiser le rôle majeur de la cellule, permettent d’attribuer un rôle structurant à ce milieu extracellulaire fibrillaire dans lequel les cellules se lovent et sont installées de façon assez irrégulière ou sans schéma directeur précis par endroits.

Or la perception de la matière vivante est, pour l’instant, cellulaire presque uniquement. Tout est centré sur la cellule. Le milieu extracellulaire a été délaissé.

Or la cellule n’existe que sur un support, un environnement qui est une architecture fibrillaire, un tramage tridimensionnel existant à différents niveaux d’échelle et dont il faudra à l’avenir tenir compte.

En conclusion

Le tissu conjonctif  qui est donc retrouvé partout dans le corps,  de l’os à la peau, des tendons aux nerfs, a donc un rôle structurant essentiel mais aussi, il est le responsable de la mobilité et de la souplesse. Il explique aussi la notion de forme, la répartition de l’ eau dans l’ organisme et des états pathologiques de façon cohérente.

Il  pourrait être en fait le tissu constitutif dans lequel les spécifications cellulaires se sont développées. Pour le coup, cela serait un vrai changement de modèle.

L’ exploration du vivant n’est qu’à son début, les améliorations technologiques endoscopiques apporteront de nouvelles découvertes et mettront en question les dogmes anciens .

Dr J.C.GUIMBERTEAU chirurgien plasticien

Merci au Dr J.C.GUIMBERTEAU pour ce précieux partage et pour son intervention au séminaire AMOPY d’octobre dernier au Pic du Midi.

Vous pouvez retrouver son travail en vous rendant sur son site internet dont voici le lien ci dessous.

https://www.endovivo.com/fr/

Enfin voici un documentaire vidéo tout aussi intéressant qu’il a réalisé sur ce même sujet. Bon visionnage.